Le geste de nager, par exemple, est assurément fonctionnel : il implique une coordination anatomique complexe entre les membres inférieurs et supérieurs et le rythme respiratoire, dans un environnement inhabituel pour les mammifères terrestres que nous sommes. Pour autant, comme le note Mauss, on ne nage pas dans les années 1930 comme on nageait dans les années 1870. À la fin du XIXe siècle, le modèle prégnant de « ce qui flotte » étant la machine à vapeur, on apprend à nager en avalant et en recrachant l’eau—comme le bateau, le nageur fait passer l’eau dans son corps. Au contraire, dans les années 1930, le crawl s’est imposé après les victoires répétées des Amérindiens sur les Européens lors des compétitions internationales : il n’est plus tant question d’imiter le bateau à vapeur que d’incarner une forme longiligne, empruntant à la fois à la technique amérindienne et à l’aérodynamique naissante. Le fonds socio-culturel sur lequel s’étaye le geste est donc tel que, même dans une activité aussi trans-historique que la nage, cinquante années suffisent à en changer la forme. note-sur-le-concept-de-geste