Gestosphère
L’univers symbolique qui force l’anatomie
La gestosphère désigne l’univers symbolique des gestes qui constituent une personne. Ce n’est pas simplement l’ensemble des mouvements qu’un corps peut faire (la kinésphère de Laban), ni l’organisation dynamique de ces mouvements (la dynamosphère). C’est le répertoire des gestes avec leur portée signifiante, affective, relationnelle — l’ensemble des possibilités gestuelles avec leur charge symbolique.
Le concept est introduit par Hubert Godard comme une extension radicale du travail de Rudolf Laban. Là où Laban cartographie l’espace cinématique et dynamique, H.Godard ajoute la dimension symbolique : chaque Geste porte une histoire de constitution, une relation à l’objet au sens psychanalytique, un dialogue tonico-affectif avec l’environnement humain et plus qu’humain.
Le renversement : du geste à l’anatomie
“C’est cet univers symbolique qui va expliquer et forcer l’anatomie, et non l’inverse.” — Hubert Godard
Principe révolutionnaire : ce n’est pas l’anatomie qui détermine les gestes possibles, c’est la gestosphère qui configure l’organisation corporelle. Un muscle se développe ou s’atrophie selon les gestes qui l’appellent. Et ces gestes ne sont pas simplement fonctionnels. Chaque geste “porte” une trace, son inscription dans un contexte culturel, son histoire affective ; travailler un geste c’est travailler son archéologie, les conditions de son apparition et de son inscription.
On ne peut alors plus parler de “corps” au sens d’une donnée anatomique stable, mais de corporéité : une organisation qui émerge de la gestosphère et de son inscription dans la fonction gravitaire.
Les gestes fondateurs
H.Godard identifie des gestes fondateurs qui structurent notre rapport au monde :
- Repousser — affirmation, séparation
- Aller vers — ouverture, continuité
- Désigner — triangulation, partage d’attention
- Prendre — préhension, relation dyadique
- Jeter — propulsion, lâcher-prise
- Pousser — continuité du contact
- Couper l’espace — inscription, création de sens
Ces gestes ne sont pas de simples catégories fonctionnelles. Chacun se constitue dans le rapport à l’entourage, porte une charge affective, une mémoire relationnelle. Leur développement est différencié selon les personnes : certains peuvent être absents, faibles, ou au contraire sur-investis.
Constitution par l’extéroceptif
“Cet espace n’existe pas, je n’existe pas, tant qu’il n’y a pas un retour par l’extérieur.” — Hubert Godard
La gestosphère se constitue par le retour de l’environnement. Un enfant fait un mouvement, l’entourage le catégorise comme “geste”, ce retour extéroceptif unifie le corps et structure l’Image du corps. La gestosphère n’est pas une donnée innée — elle émerge de ce dialogue tonique et relationnel.
Chaque geste porte ainsi la trace de sa validation sociale, de son inscription dans un contexte culturel, de son histoire affective.
L’espace du geste
La gestosphère construit l’espace avant le geste. Cet espace n’est pas homogène — il est peuplé de densités variables, d’orientations privilégiées, de fantômes relationnels.
“Il y a autant d’espace dans un crocodile qui avale un homme que dans la répartition des étoiles dans le ciel.” — Georges Bataille
L’espace n’est pas donné a priori, il est reconstruit différemment pour chaque geste. Cette Récursivité est fondamentale : le geste configure l’espace qui permet le geste.
Liens
- Geste — organisation émergente, transitivité
- Récursivité — le sens émerge du parcours qui le cherche
- Voix médiane — ni actif ni passif
- Affordance — possibilités d’action qui émergent du couplage
- Image du corps — constitution par le retour extéroceptif
“C’est cet univers symbolique qui va expliquer et forcer l’anatomie, et non l’inverse.” — Hubert Godard