Concept principal : Chiasme | Affordance Date de création : 2025-11-11 Statut : 🌱 Notes de travail (en germe) Tags : tenségrité affordance Gibson Notes : chiasmes affordanciels | structure générative multi-échelle
De l’empilement à la perception écologique
1. De l’ « empilement » à la « tenségrité ».
Vision classique : le corps en empilement segmentaire
- Inspirée de l’anatomie mécanique ou du bâtiment (le corps comme un empilement de briques).
- Chaque segment repose verticalement sur le précédent.
- La stabilité dépend d’un bon “alignement” statique.
- Le squelette est vu comme porteur, les muscles comme moteurs, le reste comme passif.
Limites de ce modèle :
- Il ne permet pas de comprendre la stabilité dynamique en mouvement.
- Il suppose une immobilité de référence.
- Il ne reflète pas la réalité vibratoire, adaptable et globale du corps vivant.
Vision contemporaine : le corps comme structure en tenségrité (tensegrity)
Tenségrité = Tension + Intégrité
Caractéristiques du modèle :
- Les os sont suspendus dans un réseau de tensions continues (fascias, muscles, ligaments).
- Il n’y a pas d’empilement, mais un équilibre global des forces.
- Les forces sont distribuées à distance dans tout le système.
- Le corps devient une architecture vivante, fluide, et auto-adaptative.
Rôle du fascia :
- Transmet les forces à travers tout le corps.
- Riche en mécanocepteurs : il informe le cerveau du statut mécanique global du corps.
- Il est à la fois structure, capteur, et interface sensorielle vivante.
Comparatif :
| Aspect | Empilement segmentaire | Tenségrité corporelle |
| Modèle biomécanique | Statique, vertical | Dynamique, tridimensionnel |
| Élément porteur | Os en contact | Tissus fasciaux en tension |
| Transmission des forces | Linéaire et locale | Distribuée globalement |
| Vision de la posture | Alignement figé | Équilibre mouvant |
| Implication pour le geste | Effort local | Soutien global, mouvement plus libre |
2. De la perception “caméra obscure” à la perception prédictive
Modèle classique : le cerveau caméra / boîte noire
Le cerveau est vu comme un récepteur passif, une sorte de projecteur inversé.
- Le monde envoie des informations sensorielles → elles entrent dans le cerveau → il “voit” et interprète.
- Le cerveau est comme une pellicule sur laquelle le monde extérieur s’imprime.
- La perception est conçue comme fidèle et photographique.
Limites :
- Le cerveau n’a pas accès directement au monde, seulement à des influx nerveux.
- L’information sensorielle est bruitée, partielle, ambiguë.
- Ce modèle ne rend pas compte des illusions perceptives, de la perception anticipée, etc.
Modèle actuel : le cerveau constructeur actif de la réalité
La perception est prédictive : le cerveau devine, compare, corrige.
- Le cerveau fait des hypothèses sur ce qu’il attend de percevoir.
- Il compare ces hypothèses aux signaux sensoriels reçus.
- Il corrige ses erreurs (prediction errors) en permanence.
- Ce processus est probabiliste, actif, dynamique.
Implication posturale :
- La posture n’est pas déclenchée par l’environnement, elle est anticipée.
- Avant de jouer un geste musical, le corps ajuste déjà son tonus, ses appuis, sa respiration : pré-mouvement.
- La modulation tonique est donc une réponse prédictive aux attentes perceptivo-motrices.
Comparatif :
| Aspect | Caméra / boîte noire | Modèle prédictif |
| Nature de la perception | Enregistrement passif | Construction active |
| Rôle du cerveau | Récepteur de signaux | Générateur d’hypothèses |
| Temporalité | Réactive | Anticipative |
| Interaction avec le corps | Décodage d’information | Ajustement tonique basé sur prédiction |
| Pertinence posturale | Correction a posteriori | Préparation tonique continue |
3. Apport de Gibson : l’écologie de la perception
James J. Gibson propose une révolution silencieuse :
La perception est directement liée à l’action, enracinée dans la relation corps-environnement, sans traitement symbolique ni représentation mentale.
Concepts clés :
Affordances
- Le monde offre des possibilités d’action.
- Une chaise, ce n’est pas un objet : c’est “ce sur quoi je peux m’asseoir”.
- Le geste musical se fait vers quelque chose, dans un espace de possibilités — pas dans le vide abstrait.
Couplage perception-action
- Il n’y a pas de perception sans mouvement.
- Le corps perçoit en explorant, en se déplaçant, en agissant dans un monde structuré.
Invariants sensoriels
- Dans le flux sensoriel, certaines structures invariantes guident la perception (changement de perspective, expansion optique, etc.).
- La posture (musicale) s’adapte à ces invariants dynamiques, pas à un modèle externe ou figé.
Gibson vs modèle prédictif ?
Plutôt que s’opposer, ces visions s’enrichissent :
| Modèle Prédictif | Gibson (écologie de la perception) | |
| Siège de la perception | Cerveau (hypothèses internes) | Corps-environnement (relation active) |
| Fonction principale | Anticiper et réduire les erreurs | Agir et s’ajuster au monde réel |
| Source de données | Inférences, feedback sensoriel | Invariants du monde structuré |
| Temporalité | Prédiction (top-down) | Exploration continue (bottom-up) |
En pratique :
Le cerveau prédit, le corps explore, le monde répond.
Le geste musical naît de cette danse à trois.
Synthèse visuelle (triade intégrative)
[Monde structuré]
↑ ↓
perception directe
(affordances, invariants)
↑ ↓
[Corps vivant en mouvement]
↑ ↓
tonus, souffle, appuis
↑ ↓
[Cerveau prédictif]
(modèles internes, ajustements)
POUR LA TRANSMISSION PÉDAGOGIQUE
À explorer :
- Spirales et lignes de force : mouvement lent, guidé par les appuis dynamiques.
- Écoute incarnée : perception des affordances par le toucher, le son, le souffle.
- Pré-mouvement musical : expérimenter comment l’intention modifie le corps avant même le son.